S'il est bien connu que ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire, on en déduit sans peine qu'ils doivent bien imprimer cette narration dans les lieux. C'est le charme des monuments. Mais comment imprimer la vision et la parole des vaincus, ne fut-ce qu'un instant?
Krzysztof Wodiczko s'inscrit dans la veine des avant-gardes : il cherche à faire prendre conscience aux foules sempiternellement aliénées des contradictions et des violences du monde. Pour cela, il utilise notamment des projections photographiques puis, à partir des années 90, vidéographiques afin de transformer monuments et édifices publics les plus emblématiques d'une histoire du pouvoir. Les monuments de célébration nationale deviennent des symboles de mauvaises consciences individuelles...
Bien entendu, on pourra lui reprocher un humanisme un peu naïf, un militantisme éculé, des stratégies convenues, un échec à créer du politique en se rabattant sur la culpabilité individuelle ou une utilisation de clichés. Ce dernier reproche, Wodiczko le revendique : ces édifices sont eux-mêmes des mythes, c'est donc en leur apposant d'autres mythes qu'on pourra lutter...
Cela dit, il semble que ces projections de sans-abri permettent de poser quelques questions plus profondes, car s'il y a bien des personnes forcées d'exhiber sans arrêt leur corps, ce sont ceux qui sont littéralement sans abri. Et cette exhibition des corps doit se faire en des endroits stratégiques des villes, afin de susciter la pitié, pour pouvoir récolter argent et/ou nourriture. Comme les monuments doivent être placés à des endroits stratégiques du voir pour susciter la ferveur? Mais là où les monuments se voient soutenus dans leur exhibition par des stratégies du faire-voir (plaques explicatives, visites touristiques, ...), rien ne vient contrer nos modes de défenses ou de déni du voir en ce qui concerne les sans-abri. Si ce n'est peut-être un brin de mauvaise conscience.
Avec tous les risques que cette interrogation comporte, il faudrait peut-être profiter du travail de Wodiczko pour s'interroger sur les différentes stratégies d'appropriation (ou de production) de visibilité dans les villes, que ces stratégies soient le fruit des dirigeants ou des exclus.
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