Que faut-il pour que ça fonctionne?
Que faut-il pour qu'un musée fonctionne? Et d'abord, ça veut dire
quoi « qu'un musée fonctionne »? Qu'il nous permette de
venir voir dans les meilleures conditions possibles ce qu'on appelle
l'art?
Nicolas Philibert a réalisé un
documentaire intitulé La ville Louvre.
Peut-être avait-il en tête ce rêve
de Hitchcock :
« C'est probable... Effectivement, un projet de film commence souvent dans une formulation très vague, et l'idée que j'aimerais réaliser sur vingt-quatre heures de la vie d'une ville ; je peux voir tout le film du début jusqu'à la fin. Il est plein d'incidents, plein d'arrière-plans, c'est un grand mouvement cyclique. Cela débute à cinq heures du matin, il commence à faire jour, et il y a une mouche qui se promène sur le nez d'un clochard couché dans le renfoncement d'une porte cochère. Ensuite, commence le mouvement du matin dans la ville. Je veux essayer de filmer une anthologie de la nourriture. L'arrivée de la nourriture dans la ville. La distribution, l'achat. La vente. La cuisine. L'action de manger. Ce qu'il advient à la nourriture dans différentes sortes d'hôtels, et comment elle est accommodée et absorbée. Graduellement, vers la fin du film, il y aura les bouches d'égouts et les ordures qui vont se déverser dans l'océan. C'est un cycle complet depuis les légumes verts encore ruisselants de fraîcheur jusqu'à la fin du jour, la saleté qui sort des égouts. A ce moment-là, le thème de ce mouvement cyclique devient : ce que les gens font aux bonnes choses et le thème général devient la pourriture de l'humanité. Il faut traverser toute la ville, tout voir, tout filmer. »
Peut-être, mais certainement sans
l'intention ferme d'arrimer ce qui est filmé à une fable morale, de
filmer pour servir une démonstration, de soumettre ce qui est relevé
à un savoir pré-conçu.
En tout cas, cela commence la nuit,
quelques œuvres apparaissent grâce à l'éclairage d'une lampe de
poche. Puis, c'est l'aube, un camion arrive dans le lieu, il faut
lentement le stabiliser, ça y est, on fait passer un grand tableau
dans le musée : les trajets dans le lieu commencent. Sont alors
filmées des séries de marches, de gestes, de réponses, d'outils.
Tout ce travail fait de déplacements, d'arrêts, de fiches et de
roulettes, de formations, de vêtements et de précautions,
d'injustices de races, de genres et de classes aussi, d'attention et
de surveillance, d'humains et de choses qui permettent que le musée
fonctionne comme ce grand décor, à la fois discret et évident,
dont nous sommes les utilisateurs tranquilles.
Ça pourrait être ça, alors, regarder un musée autrement qu'en utilisateur, examiner comment cette
silhouette d'utilisateur dans laquelle nous nous glissons sans y
prêter attention est dessinée et patiemment élaborée. Et regarder
la ville de cette façon, ça pourrait être ceci : tenter d'une
certaine façon de rejoindre le projet de Hitchcock, mais de recenser
sans moralisme.
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